24 septembre 2009

Dusapin au cinéma


Je me suis enfin décidé à voir "Entre ses mains", le film d'Anne Fontaine avec Benoît Poelvoorde et Isabelle Carré. J'étais surtout freiné par le fait que voir Poelvoorde dans un thriller ne me paraissait pas crédible. D'autre part je n'avais jamais vu de film d'Anne Fontaine, et ce nom là ne m'évoquait rien qui puisse me donner envie de franchir le pas. Finalement, en me forçant un peu, j'ai réussi à passer outre ces petits blocages stupides. J'ai donc mis le DVD dans le lecteur et, chose que je fais souvent au moment de visionner un film, j'ai jeté un coup d'oeil aux informations concernant la musique. Et là, surprise : monsieur Pascal Dusapin en personne est crédité comme l'auteur de la musique originale. Voilà une annonce réjouissante qui m'a enlevé un instant quelques a priori négatifs. Et puis le film s'est déroulé. Un film d'une étonnante qualité, une sorte de thriller hitchcockien : une histoire entre une femme sage et rangée travaillant dans les assurances, et un homme assez instable, vétérinaire de profession, que l'on soupçonne d'être l'auteur de meurtres dans la ville de Lille. La réalisatrice se concentre sur les visages tourmentés, sur les situations équivoques, sur les non-dits pesants, et sur la psyche conflictuelle des personnages, créant un univers assez trouble et inquiétant. Elle nous livre un film sombre, entre torpeur et violence, avec une scène de meurtre que n'aurait certainement pas renié Hitchcock.

Pascal Dusapin

Et Dusapin dans tout ça ? Je me suis demandé plusieurs fois en voyant le film, si je n'avais pas entendu sa musique sans m'en apercevoir, peut-être distrait par le flux narratif, mais à aucun moment il ne me semblait avoir été accroché par quelque chose qui me rappelât son écriture, sauf à la toute fin. En écoutant les commentaires de la réalisatrice, j'ai eu la confirmation que la musique de Dusapin n'apparaissait effectivement qu'à la dernière séquence, à la 78e minute très exactement, pour s'éteindre quelques minutes plus tard au générique de fin. Dix minutes de musique, voilà le résultat du travail de Pascal Dusapin, en fait une longue plage pour un effectif d'une trentaine de cordes. Le compositeur lorgne davantage vers la modernité languissante d'un Alexandre Desplats que vers le glorieux passé hermannien, mais sa partition recèle les aspérités que l'on trouve chez Hans Werner Henze dans les films de Resnais, cousue dans le fil des émotions véhiculées tout au long du film. Lorsque la musique apparaît, le cheminement intérieur des personnages et des spectateurs semble jaillir avec d'autant plus de vigueur qu'il était vécu jusque-là de manière silencieuse (si l'on excepte les diverses musiques additionnelles). Ainsi émerge un climat fiévreux, électrique, et en même temps chargé d'effroi, qui magnifie la perversité sous-jacente des personnages. Dusapin a signé une musique à la fois ductile et paroxystique, en symbiose avec la narration, étoffant admirablement la teneur tragique du film.

L'Orchestre National de Montpellier, placé sous la baguette du slovaque Juraj Valcuha, donne une interprétation en apesanteur de la partition, servie par un son excellent. Il reste que dix petites minutes de musique dont cinq sur le générique, c'est peu. En espérant que Pascal Dusapin, qui n'est pas étranger au monde du cinéma puisqu'il est marié à l'actrice Florence Darel, soit à l'avenir demandé pour un travail plus conséquent, ça nous changera des Nicola Piovani et Bruno Coulais.