2 mai 2009

L'atelier de Michaël Levinas (2/2)

Michaël Levinas - Adrian Boreda - Nicolas Monlon - Benoît Meudic - Yassen Vodenitcharov : Autour de Evanoui (2009), pour double orchestre

Levinas : Nous allons vous présenter notre atelier de travail avec exemples sonores et vidéos
J'ai eu un travail pendant deux ans avec Benoît sur cette pièce et des huis clos sur des questions d'écriture
Je suis souvent qualifié de spectral, mais cette pièce représente une inversion par rapport au dogme spectral
Dans Evanoui il y a le souci de définir d'une manière écrite et notée des phénomène acoustiques, par le rythme et l'abstraction numérique du rythme
Le rythme engendre la forme et métamorphose le timbre
Ce n'est pas le cas dans le spectralisme, où le rythme est proportionnel, mais pas numérique
Il a fallu trouver une manière d'écrire ces rythmes, ces vitesses, pour avoir un résultat acoustique et une forme
Ligeti a joué un rôle dans son écriture pour piano
Le résultat de son écriture engendre un timbre, un comportement acoustique
Aujourd'hui l'informatique permet de faire des simulations
Meudic (réalisateur Ircam) : Il faut faire des choix devant les possibilités
Michaël est venu me voir avec des questionnements, une direction précise

Levinas : C'est parti d'une pièce qui s'appelle Se briser (2007), dans laquelle j'ai travaillé sur l'incurvation, la polymodalité, les relations acoustiques
Les marimbas jouent une polyphonie rythmique complexe, qui engendre des propositions formelles
C'est une polyphonie de lignes horizontales où chaque rythme est noté
Le phénomène acoustique est généré par cette polyphonie et non pas le contraire
Evanoui est aussi un prolongement de l'ouverture des Nègres (2003), avec les mouvements paradoxaux
Nous avons modélisé d'abord à 2 claviers dans mon atelier
L'écriture rythmique est le seul moyen de parvenir à cela.

Monlon (compositeur) : L'orchestration a à voir avec la mise en espace
Il y a une souplesse dans l'écriture, c'est une polyphonies d'instruments, de couches

Levinas : C'est un coup de projecteur sur les potentialités d'écriture
Des pages entières ont été réalisées à l'Ircam
On a un effet Doppler en micro-intervalles, qui vient de l'écriture polyphonique des rythmes, de la superposition des vitesses
Il ya aussi une superposition de diapasons avec un travail sur l'instrumentarium
Les principes harmoniques découlent du principe polyphonique

Boreda (compositeur) : Le problème de fond, c'est la synthèse intrumentale
Par exemple, comment traduire un son de clavier aux cordes

Vodenitcharov (compositeur) : L'écriture polyphonique est poussée à l'extrême
Dans ce cas, le danger est d'avoir un effet de masse
Là on a un équilibre entre l'accumulation de détails et la transparence, on entend tous les détails

Levinas : L'orchestre n'est pas quelque chose d'innocent
C'est le résultat d'un langage tempéré qui s'est figé
La tentative de cette pièce, après Incurver (2006) et Se briser (2007),
c'est que à partir du moment où le langage change, l'orchestre change également
Après Messiaen, et sans faire du néo-sériel, trouver une exigence formelle
Ici la polyphonie et le rythme sont au centre
C'est l'apparition d'un nouvel orchestre, avec le pianoforte, les instruments à cordes pincées, et des outils de synthèse permettant de redéfinir la logique du matériau orchestral.

1 mai 2009

L'atelier de Michaël Levinas (1/2)

C'était jeudi dernier au Cdmc, le quatrième épisode du Collège de l'Itinéraire. Michaël Levinas était à l'honneur, avec divers collaborateurs et Nicolas Darbon comme médiateur. J'ai pris quelques notes, que voici :

Michaël Levinas - Valère Novarina - Emmanuel Moses : "Un opéra en cours d'écriture". A propos de La Métamorphose, création prévue mars 2011 à l'opéra de Lille


Nicolas Darbon : Comment a commencé le projet de la Métamorphose ?

Levinas : Je ne me ressens pas comme un compositeur d'opéra
C'est simplement une rencontre, physique, comme un sourcier
A Evian, quand j'ai lu La Métamorphose, j'y ai tout de suite remarqué du théâtre
On y trouve la question de l'identité : sujet crucial,
et la question de la temporalité : comment un instant devient autre, se métamorphose
Donc c'est une question théâtrale et musicale, posée par Kafka
L'identité : entendre sans que les autres sachent que l'on entend, parler sans être entendu
Cela me rappelle Soljenitsyne et son Pavillon des Cancéreux

Chez Novarina, je trouve cette radicalité, la multiplicité de l'identité
j'ai eu un dialogue avec Novarina sur la notion de passage
je me suis aussi tourné vers Emmanuel Moses, qui a dans ses gênes un étroite relation avec Zweig, Benjamin et Kafka
C'est un travail à trois pour l'Opéra de Lille
Novarina s'occupe du prologue et Moses du reste du livret



Novarina : "Corneille est notre Kafka", puisque Kafka en tchèque veut dire Corneille
[le terme kavka en tchèque désigne une corneille ou un choucas]
Je reviens d'une longue mise en scène en hongrois [l'Opérette Imaginaire], donc je commence le texte du prologue demain matin
Je suis attiré par la musique de Michaël
C'est le travail du temps qui m'intéresse, la métamorphose par catastrophe
Les acteurs hongrois avec qui j'ai travaillé sont nourris au lait stanislavskien
Ils ont honte que le texte sonne dans l'espace, ils psychologisent tout
Une actrice déclamait "je suis face au sentiment inconnu" et tombait en larmes
Peu à peu, à mon contact, ils ont appris le rythme et la musique,
les attaques, les arêtes, les contours
Ce travail leur redonnait la voix et le phrasé
C'est pour ça que je suis touché par les propos de Michaël sur la prononciation



Moses : Le texte, pour ma part, est déjà terminé
J'étais très heureux de travailler pour Michaël, d'autant plus que j'aime ce texte de Kafka
C'est un texte très théâtral
La règle des unités est presque respectée, sauf la fin qui est transgressive, c'est une échappée
Nabokov a écrit un texte sur la Métamorphose, dans ses notes de cours
[Nabokov, Proust, Joyce, Kafka, Etude, 1999]
C'est quelque chose de très physique, voire cinématographique
Aujourd'hui nous lisons ce texte en anticipation de l'animalisation de l'homme, de la Shoah...
Je sais par un des amis proches de Kafka que pour lui c'était un texte comique
il était plié en deux devant ce texte bouffon
J'ai essayé de prolonger cela, de théâtraliser cette dimension

Nicolas Darbon : Comment le prologue s'articule-t-il à l'opéra ?

Novarina : Je ne sais pas à l'avance ce que va être ce prologue

Levinas: Il n'y a pas d'altérité sans tiers...

Moses : En ce qui me concerne j'ai très peu touché au texte de Kafka
je me suis comporté comme un jardinier dans un jardin d'hortensias,
pour éviter de désharmoniser la languer de l'écrivain

Nicolas Darbon : La notion d'incertitude est-elle un moteur ?

Levinas : L'écriture n'est pas une improvisation
Il y a une forme de certitude à composer un opéra
pour Trois chansons pour la loterie Pierrot, le même travail a existé
[les Trois chansons pour la loterie Pierrot et Jean la Grêle (2008),sur des textes tirés de La Chair de l'homme de Valère Novarina]
Pour la Métamorphose, nous avons lu la pièce avec Emmanuel, de manière presque talmudique.
La chambre dans laquelle est Gregor est d'une banalité presque étouffante
Le portrait de la femme au mur, c'est infernal
Cela me rappelle les plasticiens soviétiques, avec leurs simulations de chambres avec de petites pelotes de laine
Il y a aussi un travail sur la variation
Ce travail consistera à savoir si ces moments qui tiennent de l'art de la langue, comment cela peut se retrouver dans le chant
Chez Novarina, La Chair de l'Homme n'est ni un roman ni un poème, il y a une dimension théâtrale. C'est ce qui nous réunit tous les trois.