David Lynch et Mark Frost ont laissé divaguer leur imagination sans aucune entrave. S'ils n'ont pas réalisé tous les épisodes, en revanche ils ont écrit le script complet des deux saisons. Et surtout, ils l'ont écrit au fur et à mesure, à partir de l'excellent pilote de départ qui leur donnait une matière infinie. Car au départ, c'est bien d'une enquête qu'il s'agit : Qui a tué Laura Palmer, et pourquoi ? Si Twin Peaks ressemble à un feuilleton aux allures de soap opera, derrière se cache un polar macabre qui en constitue la charpente. Une foule de suspects, une floppée d'indices, un puzzle inextricable. Au fil des épisodes, les deux auteurs tissent une toile des plus complexes dont le fil n'est jamais rompu mais qui vous emmène toujours ailleurs. Il faut se représenter l'inventivité débordante des films de David Lynch portée à l'échelle de trente épisodes. Cela nécessite une vigilance extrême pour bien suivre, car chaque mot prononcé, chaque détail du cadre, chaque situation peut être productrice de sens, et prendre de l'importance dans la résolution de l'énigme. Avec cette difficulté que l'intrigue est complètement infiltrée par des moments de rêve, de vision subite, conférant à chaque mot, chaque image, chaque scène, la dimension d'une nouvelle énigme. Le réel lui-même s'en trouve affecté, et le simple hululement d'un hibou dans une forêt peut soudain plonger la conscience dans un abîme qui dépasse l'entendement. L'onirisme, le subconscient, le surnaturel et le paranormal investissent le champ du récit de manière inopinée, donnant au réel une dimension fantasmatique.

narquois. Donna le voit de ses yeux, c'est donc vrai pour elle. Si c'est vrai dans le film, quelles conclusions en tirer pour la suite de l'enquête ? Une nuit, la mère de Laura voit surgir un cheval blanc fantomatique. Comment interpréter cela ? Quand Josie meurt en tremblant dans les bras de Cooper, de peur semble-t-il, son âme semble s'incarner dans une poignée de tiroir. Que doit-on en penser ? Ce ne sont que quelques exemples parmi les images et indices troublants, mis en évidence et difficiles à appréhender. Au final peut-être sont-ce des signes équivoques pour faire signifier la réalité autrement, pour en transformer la perception, sans prise en compte de l'intrigue. En revanche, certains éléments prennent place dans l'intrigue de manière évidente, comme l'enlèvement du Major Briggs, qui semble relever soit des extra-terrestres soit des esprits de la Loge Noire, encore que ni l'une ni l'autre explication ne soit pleinement satisfaisante. Le surnaturel, dans ce cas, a une implication directe dans le réel, bien que les tenants et les aboutissants restent mystérieux.De la même manière, les rêves que font certains protagnistes, notamment Dale Cooper, sont particulièrement énigmatiques. On retrouve là le génie de Lynch, qui en matière de rêve fait toujours preuve d'une inspiratio
n surdimensionnée. La réussité de la série repose d'ailleurs, c'est incontestable, sur cette fameuse "salle rouge", qui apparaît en rêve à Cooper dès le second épisode. C'est une trouvaille de génie, une "vision" émanant directement du cerveau de David Lynch, qui confère à la série son souffle jusqu'à la scène finale. Cette dernière, qu'il a réalisée lui-même, explose littéralement les canons des séries télévisées passées et à venir. C'est une des scènes les plus fascinantes et les plus stupéfiantes qu'il m'ait été donné de voir et qui mériterait d'être vue au cinéma.
des troubles de l'identité, comme Ben Horne qui se prend pour le General Lee, ou Nadine Hurley qui se croit encore au lycée. Sans parler des personnages au caractère schizophrène, comme Philip Gerard et Leland Palmer. Mais la perception de cette dualité ontologique se concrétise de manière fulgurante dans les configurations de gémellité entre deux personnages, que celles-ci procèdent de la similarité, de l'antagonisme, ou bien des deux : Laura Palmer/Madeleine Ferguson, le Géant/le Nain, Dale Cooper/Windom Earle, Caroline/Annie Blackburne, Bob/Mike etc. 












