13 août 2009

A propos de Twin Peaks (3/3)


"Petroglyph"

David Lynch et Mark Frost ont laissé divaguer leur imagination sans aucune entrave. S'ils n'ont pas réalisé tous les épisodes, en revanche ils ont écrit le script complet des deux saisons. Et surtout, ils l'ont écrit au fur et à mesure, à partir de l'excellent pilote de départ qui leur donnait une matière infinie. Car au départ, c'est bien d'une enquête qu'il s'agit : Qui a tué Laura Palmer, et pourquoi ? Si Twin Peaks ressemble à un feuilleton aux allures de soap opera, derrière se cache un polar macabre qui en constitue la charpente. Une foule de suspects, une floppée d'indices, un puzzle inextricable. Au fil des épisodes, les deux auteurs tissent une toile des plus complexes dont le fil n'est jamais rompu mais qui vous emmène toujours ailleurs. Il faut se représenter l'inventivité débordante des films de David Lynch portée à l'échelle de trente épisodes. Cela nécessite une vigilance extrême pour bien suivre, car chaque mot prononcé, chaque détail du cadre, chaque situation peut être productrice de sens, et prendre de l'importance dans la résolution de l'énigme. Avec cette difficulté que l'intrigue est complètement infiltrée par des moments de rêve, de vision subite, conférant à chaque mot, chaque image, chaque scène, la dimension d'une nouvelle énigme. Le réel lui-même s'en trouve affecté, et le simple hululement d'un hibou dans une forêt peut soudain plonger la conscience dans un abîme qui dépasse l'entendement. L'onirisme, le subconscient, le surnaturel et le paranormal investissent le champ du récit de manière inopinée, donnant au réel une dimension fantasmatique.



Est-ce que ce que je vois est vrai ? Quel sens donner à cela ? Par exemple, le petit fils de Mme Tremond téléporte du maïs à la crème, sans bouger de son fauteuil, avec un oeil narquois. Donna le voit de ses yeux, c'est donc vrai pour elle. Si c'est vrai dans le film, quelles conclusions en tirer pour la suite de l'enquête ? Une nuit, la mère de Laura voit surgir un cheval blanc fantomatique. Comment interpréter cela ? Quand Josie meurt en tremblant dans les bras de Cooper, de peur semble-t-il, son âme semble s'incarner dans une poignée de tiroir. Que doit-on en penser ? Ce ne sont que quelques exemples parmi les images et indices troublants, mis en évidence et difficiles à appréhender. Au final peut-être sont-ce des signes équivoques pour faire signifier la réalité autrement, pour en transformer la perception, sans prise en compte de l'intrigue. En revanche, certains éléments prennent place dans l'intrigue de manière évidente, comme l'enlèvement du Major Briggs, qui semble relever soit des extra-terrestres soit des esprits de la Loge Noire, encore que ni l'une ni l'autre explication ne soit pleinement satisfaisante. Le surnaturel, dans ce cas, a une implication directe dans le réel, bien que les tenants et les aboutissants restent mystérieux.

De la même manière, les rêves que font certains protagnistes, notamment Dale Cooper, sont particulièrement énigmatiques. On retrouve là le génie de Lynch, qui en matière de rêve fait toujours preuve d'une inspiration surdimensionnée. La réussité de la série repose d'ailleurs, c'est incontestable, sur cette fameuse "salle rouge", qui apparaît en rêve à Cooper dès le second épisode. C'est une trouvaille de génie, une "vision" émanant directement du cerveau de David Lynch, qui confère à la série son souffle jusqu'à la scène finale. Cette dernière, qu'il a réalisée lui-même, explose littéralement les canons des séries télévisées passées et à venir. C'est une des scènes les plus fascinantes et les plus stupéfiantes qu'il m'ait été donné de voir et qui mériterait d'être vue au cinéma.




Dans cette scène finale, une clé de lecture se profile, que je voudrais exposer. Tout, dans Twin Peaks, est double, dualité. Du titre "Twin Peaks", les sommets jumeaux, aux Loges Noire & Blanche, correspondant à la peur et à l'amour, jusqu'au thème musical composé par Angelo Badalamenti qui consiste en deux parties alternées, l'une en mode majeur pleine d'intensité et de ferveur comme l'amour, l'autre en mode mineur, froide et sombre comme la peur. Cela se retrouve au niveau des personnages. Il serait difficile de distinguer des "bons" et des "méchants", car chaque personnage a une part d'ombre et une autre de lumière. Les mauvais tentent de se racheter, les bons font des actions particulièrement néfastes. C'est ainsi que l'on peut comprendre la présence d'éléments comme le domino de Hank Jennings, le pile-ou-face de Dale Cooper, ou la partie d'échecs Cooper/Earle. Certains personnages sont pris dans une situation de travestissement, comme l'agent Denise, ou Catherine Martell qui devient un temps M. Tojamura. D'autres on des troubles de l'identité, comme Ben Horne qui se prend pour le General Lee, ou Nadine Hurley qui se croit encore au lycée. Sans parler des personnages au caractère schizophrène, comme Philip Gerard et Leland Palmer. Mais la perception de cette dualité ontologique se concrétise de manière fulgurante dans les configurations de gémellité entre deux personnages, que celles-ci procèdent de la similarité, de l'antagonisme, ou bien des deux : Laura Palmer/Madeleine Ferguson, le Géant/le Nain, Dale Cooper/Windom Earle, Caroline/Annie Blackburne, Bob/Mike etc.


La conception dualiste ainsi résumée peut paraître simple et évidente, mais elle permet d'entrebailler seulement une des multiples portes de la maison Twin Peaks. Chacun des 30 épisodes peut en lui-même contenir de quoi réfléchir à un aspect ou à un autre, qui la notion d'équilibre, qui la notion de rêve, qui la notion de feu, qui la notion de répétition etc. Mais pour déboucher sur quoi ? Là, tapi dans l'ombre, le terrifiant Bob répand son rire sarcastique.
Au final, on a beau gloser, la série Twin Peaks garde tout son mystère, elle reste indéchiffrable. Cela alimente la controverse, le phénomène des fans, et l'esprit chaotique qui est celui de nos contemporains. Mais avant toute chose, c'est une série servie par une distribution d'acteurs exceptionnelle, au premier rang desquels Kyle McLachlan rayonne à son zénith. Ce fut un plaisir de s'attacher à ces personnages, et de les voir exister à l'écran tout au long de la série. Ce sont eux qui vont me rester en mémoire. La peine fut grande quand, le générique du dernier épisode se déroulant, je me suis rendu compte que c'était fini. Et la frustration d'avoir peu de solutions quand au sens à donner à ce que je venais de voir était bien mince, en regard de celle causée par le fait d'être séparé de tous ces actrices et ces acteurs que la fréquentation quotidienne m'avait rendus familiers.

A propos de Twin Peaks (2/3)

"Cherry pie"

Les diverses histoires individuelles des personnages s'entrelacent, certaines ayant un rapport direct avec l'enquête autour de la mort de Laura Palmer et d'autres au contraire un rapport très lointain.

Les adultères vont bon train à Twin Peaks, en partie parce que les histoires d'amour ratées sont monnaie courante. Catherine et Pete Martell sont comme chat et chien, Ed Hurley a pour femme une obsessionnelle des tringles à rideaux, Shelly Johnson est une femme battue etc. Il est donc naturel que chacun cherche réconfort auprès d'un(e) autre : Ben Horne courtise Catherine Martell (entre autres), Bobby Briggs couche avec Shelly Johnson, Ed Hurley aime Norma Jennings... même le Shérif Truman, qui passe ses nuits avec Josie Packard.


En fait la série Twin Peaks est une sorte de feuilleton qui dépeint des gens très ordinaires, presque de façon documentaire, dans leur quotidien. Leurs peines, comme l'enterrement de Laura Palmer, ou leurs joies, avec l'élection de Miss Twin Peaks. Le lieu incontournable, c'est le bar du RR's, où les protagonistes consomment tour à tour du café bien corsé, des hamburgers ou bien des "cherry-pies". On y prend les dernières nouvelles, on y fait des rencontres... C'est d'ailleurs dans ce bar que se passe une scène d'anthologie absolue : une scène où David Lynch, qui joue Gordon Cole, un agent du FBI sourd comme un pot, s'installe à une table du RR's pour parler avec Dale Cooper. Comme il est sourd, ses interlocuteurs doivent hausser le ton d'un cran pour se faire entendre, et lui-même parle avec une voix de stentor. C'est alors qu'il remarque au comptoir une sublime beauté, la serveuse Shelly Johnson. Il ne peut se retenir d'aller faire sa connaissance. Il engage donc la conversation avec elle, en parlant très fort, et alors qu'elle lui répond avec la même puissance, il se rend compte qu'il entend parfaitement. Poursuivant leur conversation à un niveau sonore normal, il se rend compte que Shelly est la seule personne qu'il entende bien. Plus tard, il s'assoiera à côté d'elle sur une banquette et l'embrassera sur la bouche, sous les yeux ahuris de son petit ami. Toute la réussite de ces deux scènes repose sur la performance de David Lynch, qui joue à fond sur le côté "soap opera" avec une verve unique.

Un des autres moments qui m'ont fait crouler de rire, c'est quand on voit arriver l'agent Dennis Bryson dit "Denise". Il doit enquêter sur l'agent Dale Cooper, qui est soupçonné d'au moins deux meurtres et est suspendu de ses fonctions. On s'attend à voir débarquer un type en costard, et quand Cooper ouvre la porte, on voit entrer une femme en jupe, et sous les cheveux longs on reconnaît clairement les traits de David Duchovny, le Fox Mulder de X-Files ! Un travesti en agent du FBI, il fallait y penser, mais quand c'est Duchovny qui joue c'est sensationnel. En bref, Twin Peaks est aussi une série farfelue.

12 août 2009

A propos de Twin Peaks (1/3)

"Fire, walk with me"

Hum, let's talk about Twin Peaks. S'il y a une série qui pose question, c'est bien Twin Peaks. C'est simple : au visionnage, on n'y comprend rien. Alors il faut gloser, et gloser encore. Au risque d'être déçu. Car comme pour la plupart des créations de David Lynch, il n'y a pas de solution.














Twin Peaks est une série conçue par David Lynch et Mark Frost pour la chaîne ABC. Elle se déroule sur une trentaine d'épisodes répartis en deux saisons, prenant pour point de départ le meurtre de la jeune Laura Palmer, dans la ville de Twin Peaks au nord-ouest des Etats-Unis. Tout au long de la série, on suit l'enquête menée par Dale Cooper, un agent du FBI. Celui-ci travaille en compagnie de Harry Truman, le shérif de la ville, et de son équipe : Andy, le gars tendre et sensible, Hawk, l'indien au regard de faucon, Lucy la secrétaire, et le Dr. Hayward. Des collègues de Dale Cooper participeront aussi à l'enquête : Gordon Cole, son supérieur hiérarchique, et Albert, un médecin légiste du FBI.

L'enquête fait plonger le spectateur au coeur de la ville de Twin Peaks et de ses habitants. Quelques lieux sont prépondérants : L'Hôtel du Grand-Nord, tenu par l'impénitent homme d'affaires Benjamin Horne, épaulé par son frère Jerry, et dont la fille Audrey est au lycée. La scierie, que la veuve chinoise Josie a reçue en héritage de son mari Andrew Packard, et que Catherine Martell, soeur du défunt, compte récupérer. Le "One-Eyed-Jack's", un bordel dont les mains actives sont Jacques & Jean Renault et Blackie. Sans oublier le RR, le café de la ville.

Certaines familles sont très présentes dans la série. La famille Hayward : le Dr. Hayward et sa fille Donna, une amie de la victime Laura Palmer. La famille Hurley : Ed le mécanicien et sa femme Nadine, une folle borgne, avec leur neveu James, le biker. La famille Briggs : le Major Briggs, un militaire qui s'intéresse aux extra-terrestres, et son fils Bobby, un lycéen rebelle. Le couple Johnson, avec Shelly, la jeune serveuse du RR et Léo, son copain dealer et ultra-violent. Le couple Jennings, avec Norma, la tenancière du RR, et Hank, un ex-taulard. Et enfin le couple Palmer, dont la fille Laura a été tuée.

Ajoutons à cela quelques personnages isolés et étranges : le Dr. Jacoby, psychiatre hippie ; Philip Gerard, manchot vendeur de chaussures ; Margaret, une vieille femme qui porte toujours une bûche ; Madeleine Ferguson, la cousine de Laura Palmer ; Harold Smith, un jeune cultivateur d'orchidée agoraphobe ; et d'autres encore comme Ronnette Pulasky, Richard Tremayne, Mme Tremond, l'agent Dennis Bryson dit "Denise", Windom Earle, John "Justice" Wheeler, Annie Blackburne, Evelyn Marsh, l'agent Roger Hardy, le petit Nicky, Thomas Eckhardt etc.